Sunday, November 28, 2004

Paru dans la presse...

Le système dans lequel nous vivons conserve cette étonnante capacité à produire de l’absurde comme d’autres produisent des fours à micro-ondes ou des albums de rap. Ce même système n’a besoin de personne pour dérailler. Il n’est même pas nécessaire de le provoquer : l’absurde s’auto-génère, tout seul comme un grand. Il n’est pas un défaut du système, mais sa production la plus concrète. Conséquence directe, les romanciers, scénaristes et autres créatifs sont réduits à imiter cette belle machine sans jamais réussir à en approcher l’extraordinaire efficacité. Si Kafka avait été Marocain, il n’aurait pas été romancier, mais simple journaliste.
Telquel N° 152, du Samedi 27 Novembre 2004.

Les gens que j'aime... (suite)

Saïd : Pendant 10 ans, de 1979 à 1989, Saïd a été le tout petit de la famille. Il a été très choyé. On l'aimais tous beaucoup et on l'aime toujours. Aujourd'hui c'est un homme de 25 ans qui fait sa vie loin de chez lui. Ca fait maintenant presque 5 ans qu'il est installé à Atlanta en Georgie. Il travaille très dure, nous manque beaucoup, nous appèle presque tous les jours et, il ne faut pas l'oublier, assure un support financier pour la famille qui me soulage beaucoup et pour lequel je lui suis reconnaissant. Il s’inquiète et s’affole très rapidement quand quelqu’un ne vient pas lui parler au téléphone au point de pleurer parfois et ça fait marrer même les plus petits; mais on l’aime tous beaucoup pour son grand coeur trop fragile, trop bon, trop sensible et trop humain. Personnellement ma relation avec lui a toujours été celle du grand frère qui assure éducation, conseil, autorité, support financier... Il me disait une fois, très récemment, que je lui parlais au téléphone que s’il me parlait à l’aise c’est parce qu’il ne m’avait pas en face et qu’à chaque fois qu’il est là et que nous sommes ensemble il continue à sentir mon autorité sur lui et à voir le père en moi! Nulle autre déclaration au monde ne m’a autant émue!
Siham : C’est quand certaines personnes partent loin de nous qu’on s’aperçoit de leur valeur et du degré d’amour et d’affection qu’on a pour eux. Ma petite sœur Siham (même si elle n'est pas si petite que ça puisqu'elle a 27 ans aujourd'hui, mais pour moi elle sera toujours ma petite soeur) est maintenant en Suède. Elle a choisit de faire sa vie loin de la maison familiale. Elle et moi nous avons été souvent en situation d’affrontement. Moi essayant d’exercer une autorité (et il faut bien le reconnaître une oppression) qu’elle n’admettait pas et elle toujours rebelle et récalcitrante. Elle a toujours été celle qui a son mot à dire et qui, par son front parler et sa persistance, finit toujours par obtenir gain de cause. Quand je repense maintenant à tous les comportements qu’elle avait qui me dérangeaient et qui me faisaient réagir de manière virulente, j’en ris, je me dis qu’elle avait bien raison et je l’aime encore plus. Je sais aujourd’hui que mon amour pour elle a toujours été si fort, si intense qu’il en était inavoué et que je voulais à tout prix qu’elle soit à mon image. Je voulais qu’elle se confine dans des limites que je lui traçais et qui ne correspondaient pas forcément à sa vision des choses!
Abdellah YAHYAOUI : Mon oncle a été le 1er à me mettre sur le chemin de carrière qui m’a mené vers le poste que j’occupe aujourd’hui. Il avait un petit poste dans une petite structure et me voyait déjà dans un poste de responsabilité où il serait amené à travailler sous mes ordres. Il m’a donc recommandé à son patron qui m’a recruté parce que le besoin y était. Nous avons travaillé ensemble pendant 6 ans! Les années ont passé et aujourd’hui nous sommes dans deux établissements différents, dans deux secteurs différents et à des niveaux différents de l’échelle d’évolution professionnelle. Je continue à lui être infiniment reconnaissant, à avoir pour lui la plus grande estime, à le considérer comme mon mentor, à me retourner vers lui à chaque fois que j’ai besoin de conseils et surtout à l’aimer profondément.
Mohamed YAHYAOUI : C’est apparemment, d’après ma mère, ma grand mère et mes tantes, à mon oncle Si Mohamed que je ressemble beaucoup. Moi je trouve que, sans qu’il y ait réellement une grande ressemblance, on est un peu similaires dans notre tempérament calme et réservé. Nous sommes tous les deux d’une nature paisible et nous parlons très peu. Mais la ressemblence s'arrête là! Lui, économiste de formation, son domaine c’est la gestion. Il a un esprit très analytique et très pertinent. Il me fascinait quand j’étais enfant par ses réflexions révolutionnaires et ses idées très en avance par rapport à l’époque. Moi étant depuis toujours très friand de lecture, je dévorais tout ce qui me tombait sous la main. Je me rendais donc très souvent chez eux à des horaires où mes oncles étaient tous les deux au travail et sachant que ma grand mère et ma tante qui m’aimaient beaucoup n’en diraient rien, je prenais les livres de mon oncles et me plongeais dedans. C’est là que j’ai lu, entre autres et sans encore les comprendre, Le Prince de Machiavel, Guerre et Paix et Anna Karénine de Léon Tolstoï, plusieurs chapitres du Capital de Karl Marx, L’étranger d’Albert Camus, L'Existentialisme est un Humanisme de Jean Paul Sartre, Les Confessions de J. J. Rousseau... C’est encore grâce à mon oncle que je suis devenu cinéphile. J’ai fait partie à l’âge de 14 ans d’un des 1ers ciné-clubs marocains qu’il avait fondé avec des amis et qui est aujourd’hui le plus grand ciné-club marocain à organiser des manifestations cinématographiques...
(à suivre)